Sélection mutualiste

De Coredem
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La sélection mutualiste également appelée sélection participative désigne les actions de sélection menées par des groupes d'agriculteurs avec ou sans l'appui d'institution de recherche et de développement. Elle s'inscrit dans un processus continu réunissant dans le champs des agriculteurs la gestion dynamique de la biodiversité cultivée et la sélection de nouvelles variétés.

Histoire

La sélection paysanne

La sélection paysanne existe au moins depuis le néolithique. C'est la sélection effectuée par les communautés paysannes récolte après récolte ou génération après génération. La sélection massale en est la base : elle consiste à sélectionner les sujets les plus beaux pour la reproduction. Les échanges de semences entre agriculteurs et les pressions de sélection choisies (date de semis, biotopes et modes de culture particuliers, rapprochement de parents différents ou croisements dirigés…) sont aussi indispensables au renouvellement de la base génétique La sélection paysanne est à l'origine des espèces cultivées actuelles et a dominé l'agriculture jusqu'à la fin du 19ème siècle.

La sélection professionnelle spécialisée

A partir du 19ème siècle se met en place en Angleterre puis dans le reste de l'Europe une sélection qui se spécialise pour devenir une profession distincte de celle de paysan. Des sélectionneurs se appliquent les nouvelles théories de la sélection. La sélection moderne se base sur une standardisation de la plante (variétés donnant lieu à une récolte homogène) et une hyperspécialisation (variété hautement performante en conditions de culture très artificialisées).

l'interdiction de la sélection paysanne

A partir de la deuxième guerre mondiale se mettent en place des lois et directive qui instaurent un monopole de fait de la sélection au profit des entreprise de sélection. Le phénomène est particulièrement avancé pour les plantes potagères et les céréales (voir semence).

La perte de biodiversité domestique

La conséquence de l'interdiction des variétés paysannes est la chute drastique de la biodiversité in situ. On estime ainsi à 93 % le nombre de variétés potagères perdues aux USA. La FAO estime de son côté que depuis le début du siècle, quelques 75 pour cent de la diversité génétique des plantes cultivées ont été perdus. La prise de conscience de l'érosion de la biodiversité cultivée conduit les pouvoirs publics et les semenciers à constituer des banques de ressources génétiques, rassemblant des graines de variétés paysannes collectées dans les années 60-70 et conservées à basse température (voir biodiversité domestique).

Emergence de la sélection mutualiste

En France, on peut considérer Jean Pernès,généticien des populations, comme un pionnier de la sélection participative. Convaincu que les agriculteurs sont des acteurs incontournables de la conservation de la biodiversité domestique, il appelle en 1984 à une "nouvelle délégation de la création variétale aux agriculteurs eux-mêmes, reconduisant et sélectionnant des variétés-populations polymorphes et originales. Les sociétés de production auraient alors une importance accrue dans un rôle d'encadrement et de conseil et dans leur travail de création et d'introduction de géniteurs et de populations sources qui très rapidement sortiraient du ghetto des stations pour être sélectionnées par des "paysans experts" eux mêmes"[1] Si les sélectionneurs français ne semblent pas avoir été convaincus par la vision de Jean Pernès, la sélection participative va se développer au niveau mondial et particulièrement dans les pays du Sud dès le début des années 80. Cette démarche vise alors à répondre aux oubliés de la révolution verte, les paysans qui ne peuvent adopter les variétés performantes de la sélection moderne, parce qu'inadaptées à leurs conditions sociales, économiques et techniques. En 2009, il existe à travers le monde des centaines de programmes de "sélection participative", certes aux objectifs et ambitions variés, mais associant tous des dizaines d'agriculteurs et une grande diversité variétale évaluée et sélectionnée dans les conditions réelles des fermes.

Les principes de la sélection mutualiste

La sélection mutualiste associe des chercheurs des instituts agronomiques, des techniciens et des paysans pour répondre à un besoin de création et renouvellement variétal non couvert par la sélection moderne de type industriel, qui cloisonne la conservation (dans les banques de graines), la sélection (en station ou en labo) et la production (dans les fermes, avec des semences achetées sur le marché).

La participation

Le CIRAD définit ainsi l'intérêt de la participation : "Les échecs de la "révolution verte" sont en partie attribuables à l’insuffisance de concertation entre sélectionneurs et utilisateurs paysans. La sélection participative est une réponse à cette critique : elle consiste à associer plus étroitement le petit agriculteur des zones marginales à la création de matériel génétique adapté aux situations locales."[2]. Cependant trop souvent la "participation" se limite à l'évaluation et sélection finale dans les fermes de variétés sélectionnées en stations expérimentales. Or si on se contente de décentraliser l'évaluation finale, on peut passer à côté du développement de sélections utiles car on n'aura pas utilisé les connaissances très particulières que les paysans ont de leur champ et de leur milieu ([3]). Ainsi, « la participation s'entend par un dialogue à toutes les étapes de la reconquête de l'autonomie semencière des paysans, dans une conception partagée des principes fondamentaux sur la nature du vivant » [4].

sélection mutualiste et gestion dynamique

La sélection mutualiste démarre à partir de populations hétérogènes, issues de croisement ou de mélange. On ne met pas à disposition des agriculteurs une ou plusieurs variétés "finies" mais plutôt une grande variabilité génétique à partir de laquelle il va être possible de sélectionner en fonction du milieu, des connaissances, des besoins et des attentes des agriculteurs et éventuellement des transformateurs.

Les réseaux d’agriculteurs en particulier, dans une démarche d’application des principes de l’agroécologie, s’impliquent dans la gestion de la diversité et des innovations variétales et se sont fédérés autour de projets de construction de systèmes mutualistes de sélection/gestion de la diversité à développer en collaboration avec des chercheurs institutionnels. "Il est à noter que ce n’est pas un hasard si de tels systèmes voient le jour dans le contexte de l’AB. En effet, l’Agriculture Biologique, qui cherche à répondre à une demande pour des aliments plus sains et produits dans des conditions plus respectueuses de l’environnement se différencie fortement du système de culture conventionnel par un grand nombre d’items, dont l’hétérogénéité des conditions culturales et des itinéraires techniques, la diversité des besoins des agriculteurs en termes de génotypes/phénotypes végétaux, l’absence de variétés adaptées, l’engagement quasi inexistant du secteur semencier, les demandes spécifiques (organoleptiques, nutritionnelles, sanitaires,…) des consommateurs. Nombre de ces caractéristiques sont à mettre en parallèle avec celles des agricultures vivrières et familiales des zones « marginales » des pays du Sud".[5]

Quelles techniques de sélection?

La sélection mutualiste n’est pas une méthode de sélection : elle est un rapport à la plante, un processus et un mode d’organisation sociale de la sélection. Cependant, elle exclut par définition les méthodes de sélections qui ne sont pas à la portée du paysan : cultures d’embryons, de cellules, fusions cellulaires, biotechnologie, mutagénèse… Elle exclut aussi la plupart du temps les techniques produisant des semences non reproductibles (hybrides F1, stérilités mâles…) dans la mesure où sa spécificité est l’adaptation des variétés aux conditions locales par multiplications successives dans ces mêmes conditions.

sélection mutualiste et réglementation

La réunion dans un même champ des activités de production, sélection, conservation, pour renouveler la variabilité – lorsqu'une population a un peu trop rétréci sa base génétique– permet un meilleur maintien de la variabilité globale, de la capacité évolutive. La sélection mutualiste, combinée à une approche intégrative issue de l'écologie, permet ainsi de développer une stratégie alternative de gestion dynamique de la biodiversité domestique. Alors que le cadre institutionnel et réglementaire sépare très clairement la conservation des "ressources génétiques" (conservées et utilisées à des fins de sélection) de la production des "semences" (commercialisées donc normalisées) et de la production agricole qui se contente d’utiliser ces semences, la sélection mutualiste réunit tout dans les mêmes champs. Dès lors, les agriculteurs, acteurs de sélection mutualiste, sont habilités à diffuser des lots de semences à des fins expérimentales, alors que cela leur était impossible tant qu'ils étaient cantonnés à leur rôle de producteurs agricoles utilisateurs de semences commerciales. Le devenir des variétés issues de sélection mutualiste reste néanmoins un enjeu non résolu. L'inscription au catalogue exige que les variétés soient homogènes et stables, ce qui est contradictoire avec la démarche intégrée de sélection mutualiste et gestion dynamique. Dès lors tenter d'inscrire une variété issue de sélection mutualiste, c'est être confronté à sa nécessaire normalisation.

Notes et références

  1. cité dans "gènes, pouvoirs et profits, Bonneuil, Thomas, 2009
  2. http://selection-participative.cirad.fr/selection_participative/les_enjeux_de_la_selection_participative
  3. "decentralized selection can still miss its objectives if it does not utilize the farmers’ knowledge of the crops and the environment, and it may fail to fit crops to the specific needs and uses of farmers’communities unless it becomes participatory.» Cecarelli et al, 2000
  4. (Chable V, Berthellot JF, Courrier de l'Environnement n°30, novembre 2006)
  5. Isabelle Goldringer, dans "Voyage autour des blés paysans", 2008