Biodiversité cultivée

De Coredem
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La biodiversité cultivée désigne l'ensemble des espèces et des sous-espèces (races, variétés) domestiquées par l'homme et ayant été soumise à sa sélection. La notion de biodiversité cultivée se distingue:

  • de la biodiversité sauvage qui désigne les espèces vivant à l'état sauvage dans les milieux peu anthropisés,
  • de la notion de ressources génétiques conçues comme un réservoir de gènes au service de la sélection variétale.

origine de la biodiversité cultivée

Le processus de domestication a conduit l'homme à orienter la reproduction de plusieurs espèces sauvages et à appliquer ses propres critères de sélection. Ces critères peuvent être liés à la production (résistance, qualité, productivité), ou peuvent être culturels (couleur, forme, originalité). En accompagnant la sélection naturelle de ces espèces, l'homme a lentement constitué des populations distinctes des populations sauvages au moins d'un point de vue phénotypique (aspect extérieur). Si la domestication est ancienne, les populations domestiquées ont parfois pu aller jusqu'à une spéciation quasi complète. Ceci signifie que ces populations domestiques ne peuvent plus se reproduire avec leur cousin sauvage: les deux populations forment des espèces distinctes.

Une co-évolution

Ces variétés sont issues pour l'essentiel d'un travail millénaire de sélection principalement massale effectuée par les communautés paysannes. Elles continuent d'évoluer constamment.

Par ailleurs ces variétés sont indissociables des pratiques agricoles humaines qui leur constituent un environnement spécifique. L'apport d'engrais, d'eau, l'élimination des plantes concurrentes, autant que le choix par l'homme des reproducteurs, façonnent la trajectoire évolutive de ces populations.

D'ailleurs, dès que ces populations se retrouvent à l'état naturel elles disparaissent ou retrouvent rapidement leur aspect sauvage. L'exemple le plus connu est celui des chevaux d'Amérique du nord issus des chevaux espagnols. Alors que ces derniers tendaient à avoir une robe unie, due aux choix de croisement des éleveurs, les chevaux sauvages retrouvèrent très vite des robes bigarrées.

menace sur la biodiversité cultivée

L'industrialisation de l'agriculture et la spécialisation de la sélection variétale a conduit dès le début du 20ème siècle, et de manière accélérée après la 2nde guerre mondiale, à une érosion de la biodiversité cultivée dans les champs : les variétés populations, de base génétique large et évolutive, sont peu à peu remplacées par des variétés fixées, stables et homogènes, de base génétique étroite (variétés lignées pures, variétés hybrides F1). La FAO estime que "depuis le début du siècle, quelque 75 pour cent de la diversité génétique des plantes cultivées ont été perdus. Nous dépendons dans une mesure croissante d'un nombre de plus en plus réduit de variétés cultivées et, en conséquence, de réserves génétiques de moins en moins abondantes. Cela tient principalement au remplacement des variétés traditionnelles par des variétés commerciales uniformes - même, et c'est là le plus inquiétant, dans les centres de diversité. Lorsque les agriculteurs abandonnent des écotypes locaux en faveur de nouvelles variétés, les variétés traditionnelles s'éteignent. L'introduction, qui a commencé dans les années 50, de céréales à haut rendement mises au point par des instituts internationaux de sélection végétale a conduit à la révolution verte. La propagation des nouvelles variétés dans le monde en développement a été spectaculaire. En 1990, elles couvraient la moitié du total des terres emblavées et plus de la moitié des rizières-soit en tout quelque 115 millions d'hectares. Certes, les rendements ont fortement augmenté, mais au détriment de la diversité des plantes cultivées.[1]". Cette érosion est particulièrement marquée dans les pays dont l'agriculture est fortement industrialisée. Dans ces pays, les semences ont été normalisées et définies techniquement de manière à être une marchandise identifiable, comme n'importe quel bien industriel, comme "une marchandise saine et loyale"[2]. Pour cela les semences doivent être issues de variétés "distinctes, homogènes, et stables", ce qui exclut les populations à base génétique large qui sont nécessairement évolutives. Ainsi en Europe, dès les années 70, les semence paysanne n'ont plus d'existence légale : la réglementation sur les semences et plants considère implicitement que les agriculteurs sont des utilisateurs de semences commerciales (lignées pures ou hybrides F1) dont la reproduction est considérée comme une contrefaçon, affectant les droits de propriété intellectuelle des sélectionneurs. En France, les pouvoirs publics reconnaissent explicitement cette érosion dans la charte nationale pour la gestion des ressources génétiques qui indique que "La diversité génétique des espèces et des individus fonde la richesse du monde vivant que nous exploitons. Elle a émergé d’un long processus d’évolution naturelle et du travail patient des agriculteurs et des éleveurs. Pressées depuis une centaine d’années par leurs besoins, nos sociétés développent une maîtrise génétique et une utilisation à grande échelle de races animales, de variétés végétales et de souches microbiennes performantes et homogènes. En conséquence, la diversité génétique régresse et, avec elle, la réserve génétique dans laquelle il faudra éventuellement puiser pour satisfaire aux changements globaux et aux besoins de société incertains de l’avenir...".

gestion dynamique de la biodiversité cultivée, un complément indispensable à la conservation ex-situ des ressources génétiques

constitution des réservoirs de gènes au service de la sélection

Après la 2nde guerre mondiale, les variétés paysannes (caractérisée par une forte variabilité génétique) sont peu à peu remplacées par les variétés modernes (lignées pures, hybrides principalement). Dans le même temps, les sélectionneurs ont eu besoin de maintenir un réservoir de diversité génétique dans lequel ils pouvaient puiser. Ainsi la première banque de graines voit le jour en 1958[3]. Ce besoin se traduit en Europe par la constitution de banques de graines sèches conservées à basse température, véritable collection de gènes, maintenues par les pouvoirs publics et les sélectionneurs. On parle de conservation ex-situ.

La conservation en "banque de gène" consiste surtout à maintenir un réservoir de matières premières utiles à la sélection. L'avantage de cette approche est de constituer une "copie de sécurité" de variétés qui auraient été perdues car elles n'étaient plus cultivées. L'inconvénient est que, n'étant plus ressemées chaque année, les variétés cessent d'évoluer. La conservation ex-situ (aussi appelée "statique") ignore l'intérêt de la coévolution des espèces dans leur milieu comme stratégie d'entretien et de renouvellement de la variabilité génétique. En France, les pouvoirs publics ont fait le choix de faire reposer leur politique de conservation sur cette seule option, ignorant la possibilité d'une conservation dans les champs et jardins. La création du Bureau des Ressources Génétiques s'accompagne de l'adoption en 1998 d'une charte Nationale de Gestion des Ressources Génétiques qui définit la stratégie de la France pour la conservation des ressources génétiques animales, végétales et microbiennes. Pour les ressources végétales, c’est la conservation ex situ qui constitue l’essentiel du dispositif. La conservation in situ est réservée aux espèces sauvages et, pour les espèces d’intérêt alimentaire, uniquement aux espèces forestières et aux espèces fourragères prairiales. La Charte stipule que la conservation à la ferme qui "repose sur le principe d’utilisation par l’agriculteur, chaque année, de semences issues de ses propres champs ou de ceux de ses voisins", ne "semble pas devoir jouer de rôle notable", dans "les conditions de la France où l’organisation de la filière des semences a suivi l’évolution du monde agricole[4]". Cette approche ignore donc le rôle de conservation/ gestion de la biodiversité par l'agriculteur et cantonne celui-ci dans le rôle d'utilisateur de semences issues de la sélection moderne.

En 2009, la création de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité, issue de la fusion du BRG et de l'IFB (Institut Français de la Biodiversité) semble marquer un tournant ou tout au moins une ouverture vers les approches de gestion dynamique de la biodiversité cultivée.

gestion dynamique de la biodiversité cultivée

La gestion dynamique consiste à cultiver des populations génétiquement hétérogènes, en champs et à les ressemer chaque année, en laissant les populations évoluer sous l'effet des différents mécanismes évolutifs : sélection naturelle, dérive génétique, mutations, migrations et recombinaisons. L'idée est que ce qui constitue l'environnement d'un champs cultivé (climat, pathogènes, plantes compagnes ou adventices, sols, pratiques culturales, attentes des hommes...) évolue de façon continue et qu'une plante déconnectée de son environnement ne sera donc rapidement plus adaptée à son milieu. Il faut donc voir dans la gestion dynamique une toute autre approche que la conservation statique : on ne conserve pas des individus ou des génotypes bien précis, ni même certains caractères, mais un réservoir génétique, un potentiel pour des évolutions futures[5]. Cette approche est promue en France dès la fin des années 70 par Jean Pernès, spécialiste de la génétique des populations. Il plaide pour un renouveau du rôle des agriculteurs et des flux génétique in situ dans le maintien de la diversité génétique cultivée[6]. Isabelle Goldringer, généticienne des populations de l'Unité Mixte de Recherche de Génétique Végétale, explique que "De nombreuses études réalisées sur les systèmes d’agriculture traditionnels des pays du Sud ont largement montré que les pratiques culturales et de gestion des semences par les agriculteurs constituaient la clé de l’adaptation locale et de la sélection de nouveaux génotypes, tout en permettant de conserver la diversité génétique, ce grâce à la coexistence de l’ensemble des processus évolutifs : sélection, dérive génétique, migration, mutation (Smith et al. 2001 ; Almekinder et al. 2000 ; Louette et al. 1997 ; Bertaud et al. 2001 ; Elias et al. 2001). De fait, ces ressources, évolutives s’apparentent donc à un mode de gestion dynamique. Il importe de bien comprendre que dans cette gestion à la ferme, les pratiques de sélection des paysans ne sont pas du tout contradictoires avec le bon maintien de la diversité génétique.[7]"

Ainsi, la gestion dynamique ne se contente pas de conserver des "ressources génétiques" mais entretient et renouvèle la biodiversité cultivée. Alors que la conservation statique est une activité cloisonnée, au service de la sélection (par les sélectionneurs), elle même distincte de l'utilisation (par les agriculteurs) des semences, la gestion de la biodiversité cultivée réunit dans un processus continu associé à la production agricole les actions de conservation, renouvellement et sélection de nouvelles variétés (voir sélection mutualiste).

Considérée comme mineure lors de la rédaction de la Charte nationale des ressources génétiques en 1998, la gestion à la ferme a depuis gagné en importance et en reconnaissance. En effet, après les associations de jardiniers amateurs, des réseaux d’agriculteurs se sont fédérés en France autour de systèmes mutualistes de sélection/conservation de la diversité cultivée. Parallèlement, la contribution des paysans à la gestion dynamique de l’agrobiodiversité a été scientifiquement et institutionnellement reconnue.

Le renouveau de la biodiversité cultivée en France

logo de l'association kokopelli

Le mouvement de remise en culture de variétés anciennes s'amorce dès les années 80 dans le domaine des potagères et des maraîchères. L'implication de parcs naturels, de conservatoires et d'associations révèle la dimension culturelle de la biodiversité cultivée, jusqu'ici réduite à un réservoir génétique par la vision institutionnelle (du BRG notamment voir ci-dessus). "la collecte du matériel génétique apparaît indissociable des connaissances, des savoir-faire, des usages et des identités[8]. Ni pièces de musées vestiges d'un passé folklorisé, ni réservoir de gènes, la biodiversité cultivée apparaît comme un patrimoine bioculturel, une richesse qui n'a de sens que vivante. (...) Se multiplient depuis les années 1980 des associations qui mêlent des amateurs passionnés du monde végétal, des réseaux d'agriculteurs alternatifs, des amoureux du patrimoine régional, des naturalistes amateurs ou non, des jardiniers du dimanche, des consommateurs gastronomes... Pour ne citer que quelques-unes de ces multiples initiatives, on mentionnera les Croqueurs de Pommes, la Garance Voyageuse, la Ferme Sainte-Marthe, kokopelli (issu de Terre de Semences créé en 1994, les Mordus de la Pomme, Fruits Oubliés, le Conservatoire de la tomate, etc"[9]. En 2003, la création du Réseau Semences Paysannes rend visible l'extension de ce mouvement de renouveau aux grandes cultures agricoles (notamment blés pour le pain, maïs, tournesol, fourragères...).[10] C'est à cette époque que les "paysans conservateurs" du Réseau Semences Paysannes vont rencontrer une chercheuse de l'INRA, Isabelle Goldringer, qui travaille depuis une dizaine d'années sur le programme de gestion dynamique du blé[11]. Ce programme peine à exister au sein de l'INRA faute de moyens. En 2000, s'inspirant des programmes de sélection participative qui émergent dans le monde, elle envisage alors de mettre à disposition ses populations dynamiques de blé à la disposition d'agriculteurs qui souhaiteraient le sélectionner. Mais cette idée est rejetée par les dirigeants de l'INRA. En 2003, Isabelle Goldringer rencontre alors les paysans du Réseau Semences Paysannes : "La généticienne entrevoit une perspective de mise en oeuvre pratique à grande échelle des acquis de son programme de gestion dynamique. De son côté, le Réseau Semences Paysannes a trouvé dans la génétique quantitative et populationelle un appui à ses convictions et à ses pratiques d'échanges en réseau distribué, de pair à pair".[12]

Conclusion

Ainsi, alors que les "ressources génétiques" sont un réservoir de gènes destinées à servir de matériel à la sélection industrielle spécialisée, la biodiversité cultivée apparaît comme une notion beaucoup plus large associant les plantes, la génétique, les savoirs empiriques et scientifiques, les usages culturels. La biodiversité cultivée va de paire avec une sélection mutualiste, décentralisée, ayant pour objectif de coproduire avec des agriculteurs des variétés plus adaptées à leurs besoins spécifiques et à conserver dans le même temps la biodiversité cultivée par la culture de variétés populations. Si cette approche apparaît marginale au sein de la recherche française, elle est aujourd'hui largement connue et reconnue dans le monde[13], notamment au sein de la FAO et des CGIAR (Centres internationaux de recherche agronomique).

Notes et références de l'article

  1. http://www.fao.org/DOCREP/004/V1430F/V1430F04.htm
  2. http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=ANNA_636_1341 : "la construction d'une marchandise : le cas des semences, Hélène Tordjman, 2008
  3. Bonneuil, Thomas, 2009, "gènes, pouvoirs et profits, p 320
  4. http://www.semencespaysannes.org/dossiers/docs/charte_brg.pdf
  5. "Extrait de "Voyages autour des blés paysans", Statégies de conservation des ressources génétiques par Zaharia Hélène
  6. Bonneuil, Thomas, 2009, "gènes, pouvoirs et profits, p 321
  7. Extrait de "Voyage autour des blés paysans", Intérêt de la gestion dynamique et des sélections paysannes, Par Isabelle Goldringer, p17,
  8. Bérard L et al.2005, Savoirs et savoir-faire naturalistes locaux : l'originalité française, Paris, CIRAD-IDDRI-IFB_INRA
  9. Bonneuil C, Thomas F, 2010, Gènes, pouvoirs et profits, pag 494, Ed QUAE FPH
  10. Demeulenaere Elise, Bonneuil Christophe, "Cultiver la biodiversité : semences et identité paysanne. in Hervieu B, Mayer N, Purseigle F, Muller P&J Rémy (dir), Les mondes agricoles en politique. De la fin des paysans au retour de la question agricole, 2010
  11. Goldringer I, Enjalbert J, David J, Paillard S, Pham JL, Brabant P, 2001. Dynamic managment od genetics resources : a 13 years experiment on wheat
  12. Bonneuil C, Thomas F, 2010, Gènes, pouvoirs et profits, pag 494, Ed QUAE FPH : sur le sujet, lire les pages 505 à 517
  13. Almekinders C.J.M. ElingsA, 2001, Collaboration of farmers and breeders: participatory crop improvement in perspective. Euphytica(122): 425-438

Voir aussi

Articles connexes

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