Discrimination positive

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La notion de Discrimination positive : Définition et conditions d’application[1]

Un principe diversement appliqué.

La discrimination positive est un principe général visant à procurer un avantage préférentiel à certaines catégories de la population, afin de compenser une inégalité persistante de situation. L’objectif est de rétablir les conditions de l’égalité des chances supposée remise en cause par une situation trop inégalitaire à l’origine. Ainsi, c’est aux Etats-Unis qu’est née (et se poursuit) la procédure juridique des politiques préférentielles à l’égard de certains groupes sociaux, à la fin des années 1960, sous la dénomination de l’affirmative action. Cette politique s’adresse plus précisément aux groupes dont il est admis qu’ils ont fait l’objet de pratiques discriminatoires en raison de leur race, de leur sexe, ou pour d’autres motifs (handicap, préférence sexuelle, etc.). Les mesures préférentielles à leur égard s’orientent vers trois domaines principaux : l’emploi, l’université et l’octroi de marchés publics. Cette politique d’affirmative action se veut pragmatique et efficace, en se fixant une obligation de résultat sous forme de quotas de membres de minorités supposés discriminés, au sein de l’université ou de l’emploi public. Mises en place depuis une quarantaine d’années, les procédures d’affirmative action ont fait l’objet de très nombreuses analyses et évaluations avec des appréciations très diverses (Gwénaële Calvès, 2004). L’un des avis les plus pertinents est émis par le sociologue noir américain William Julius Wilson, lui-même très engagé dans la lutte pour la progression socio-économique des minorités défavorisées (William Wilson, 1987 et 1994). Wilson souligne que, dans un premier temps au moins, l’affirmative action a eu un effet plutôt positif, en produisant une image un peu plus représentative de la diversité américaine au sein de l’élite économique, et même politique. Mais qu’ensuite, la question de l’égalité des chances n’a en rien été réglée au fond : les classes moyennes noires américaines notamment, ayant été les principales bénéficiaires de l’affirmative action au sein de cette communauté, les liens de solidarité interne se sont détruits, ce qui a renforcé la marginalisation des catégories populaires non promues. Le sociologue se prononce donc contre le principe de la prise en compte du critère de la race, sauf dans certains cas dérogatoires ; il prône plutôt une politique préférentielle à caractère socio-économique ou spatial. En France, la pratique de la discrimination positive s’est développée au sein des politiques sociales depuis le début des années 1980, dans les domaines, par exemple, des politiques de l’emploi et de formation/insertion, des politiques de la ville, des zones d’éducation prioritaire ou de l’économie territoriale (zones franches urbaines). La démarche française comporte trois différences importantes en comparaison de l’affirmative action américaine : premièrement, il s’agit de démarches à caractère plus ou moins expérimentales, et non de procédures pérennes inscrites dans le droit constitutionnel ; deuxièmement, les critères de sélection des bénéficiaires sont d’ordre exclusivement socio-économique (à l’exception de la loi de janvier 2000 sur la parité homme-femme en politique) ; troisièmement, la démarche française est beaucoup moins contraignante que la démarche américaine puisqu’elle ne fait l’objet que d’une obligation de moyen et non d’une obligation de résultat juridiquement sanctionnée.


Les limites de la discrimination positive en France

On peut émettre deux types de critiques à l’encontre de la démarche de la discrimination positive française, sur son principe même, d’une part, sur sa pratique effective, d’autre part.

Les deux critiques principales s’adressant au principe de la discrimination positive :

  • Elle serait, d’abord, incompatible avec les principes républicains d’égalité devant les services et interventions publics (M. Borgetto, 1999). Cette objection peut être levée si la discrimination positive revêt un caractère temporaire, car la législation française tolère des politiques préférentielles dans la mesure où elles sont fondées sur l’utilité commune. Or, la lutte contre les inégalités peut être considérée comme une action d’utilité commune (Rapport public du conseil d’Etat, 1996).
  • La discrimination positive, ensuite, serait génératrice d’effets pervers, dont le plus important est la stigmatisation des populations ciblées par cette démarche. Mais, l’existence d’effets pervers ne suffit pas à discréditer à priori une politique sociale. Encore faut-il évaluer l’ensemble des effets de cette politique pour apprécier le caractère dominant ou non de ces effets pervers (sachant que ces derniers accompagnent toute politique sociale, quelle qu’elle soit).

Les limites de la pratique effective de la discrimination positive en France.

On peut dégager deux limites principales qui impriment un caractère indéterminé à cette pratique dans les politiques sociales françaises (S. Wuhl, 2003).

  • Premièrement, la discrimination positive ne fixe aucune règle permettant de confronter le critère de justice et celui d’efficacité économique dans le choix des programmes d’action sociale. Dès lors, comment choisir entre des programmes plus ou moins justes, mais plus ou moins coûteux ? Dans le cas des politiques d’insertion par exemple, faut-il attribuer les mesures d’insertion les plus performantes (les contrats d’insertion en entreprise) aux chômeurs les moins qualifiés ou aux plus qualifiés, sachant que la deuxième option est plus économique (meilleur pourcentage de réussite) ? Si l’on choisit l’option la plus juste privilégiant l’accès des moins qualifiés aux mesures d’insertion en entreprise - alors que ces chômeurs sont le plus souvent orientés vers des mesures moins performantes comme les stages de formation hors entreprise -, doit-on fixer une limite à l’application de cette démarche contre-sélective, si elle ne produit pas les résultats escomptés ?

Dans la pratique, en l’absence de critères de choix explicites entre le juste et l’efficace, les opérateurs de l’insertion optent le plus fréquemment dans le sens d’une priorité à l’efficace sur le juste.

  • Deuxièmement, la discrimination positive agit comme une pratique de rattrapage social, circonscrite à la sphère des publics défavorisés, mais sans modifier en profondeur les logiques structurelles à la source des inégalités persistantes, de la précarité ou de l’exclusion. Ainsi les politiques d’insertion s’arrêtent-elles à la porte des entreprises, les politiques éducatives au sein des ZEP ne mettent pas en cause le caractère sélectif des contenus de l’enseignement transmis, les politiques de la ville agissent peu sur les processus de production et d’affectation des logements et de leur localisation.


Les apports d’une approche plus rigoureuse : les principes de justice de John Rawls

Le philosophe américain John Rawls est considéré comme le théoricien de la discrimination positive, même si, aux Etats-Unis comme en France, les dispositifs mis en œuvre s’écartent sensiblement de l’esprit de ses principes de justice (J. Rawls, 1971 et 1987). La problématique de John Rawls, à partir de son second principe de justice notamment, est à même d’apporter des réponses aux limites et indéterminations de la pratique de la discrimination positive française. En effet, dans un premier volet centré sur les conditions nécessaires à une juste égalité des chances pour l’accès aux statuts professionnels et sociaux, ce principe fonde l’exigence d’une action à caractère structurel, au-delà d’une simple redistribution des richesses et des services, pour favoriser une véritable égalité des chances. Dans un second volet, la démonstration de John Rawls débouche sur une double prescription relative à une politique publique par exemple : d’une part, toute politique doit s’employer à privilégier le juste par rapport à l’efficace, en accordant une priorité au groupe le plus défavorisé (règle fixant la relation entre justice sociale et efficacité économique) ; d’autre part, cette orientation a une limite en ce sens qu’elle ne doit pas se traduire par une régression socio-économique de ce groupe des plus défavorisés.(Simon Wuhl, 2002, notamment pour une synthèse commentée de la théorie de la justice de John Rawls).

Une démarche inspirée des principes de justice de Rawls – de réelle discrimination positive - pourrait aisément s’appliquer aux politiques locales d’insertion par exemple, soit pour aider à définir des orientations, soit pour évaluer leurs effets : d’abord, en attribuant les mesures d’insertion les plus performantes aux chômeurs les plus défavorisés (priorité du juste sur l’efficace) ; ensuite en agissant sur les sources de l’exclusion professionnelle, sur les logiques d’organisation du travail et d’embauche au sein des entreprises d’accueil (actions à caractère structurel) ; enfin, cette orientation ne peut se poursuivre que si elle ne provoque pas une augmentation de l’exclusion, du chômage de longue durée par exemple, sur le site (limite à la priorité du juste sur l’efficace).

L’idéal étant que les modalités d’une telle application de la problématique rawlsienne à toute politique sociale sur un site, fasse l’objet d’une délibération entre les opérateurs de l’action économique ou sociale, les représentants institutionnels et les usagers de ces politiques sur le plan local.(S. Wuhl, 2002 et 2003).

Notes et références de l'article

  1. Texte de Simon Wuhl paru dans Le Nouveau dictionnaire de l’action sociale (sous la direction de Jean-Yves Barreyre et Brigitte Bouquet), Bayard, Octobre 2006.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Michel Borgetto, « Le risque d’une société duale », in Problèmes politiques et sociaux (s. la dir. de Gwénaële Calvès), la Documentation française, n°822, 1999.
  • Gwénaële Calvès, La discrimination positive, PUF/Que sais-je ?, 2004.
  • Conseil d’Etat, Rapport public sur le principe d’égalité (s. la dir. de François Stasse), 1996.
  • John Rawls, Théorie de la justice, Seuil, 1987, (1ère parution : 1971).
  • William Julius Wilson, Les oubliés de l’Amérique, Desclée de Brouwer, 1994, (1ère parution : 1987).
  • Simon Wuhl, L’égalité. Nouveaux débats, PUF, 2002.
  • Simon Wuhl, Discrimination positive et justice sociale, PUF, 2007.

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