Subsidiarité active

De Coredem
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La "subsidiarité active" est une philosophie et une pratique de la gouvernance qui part d’une nécessité essentielle du monde moderne : concilier l’unité et la diversité.

Définition

Notre monde est à la fois profondément interdépendant et infiniment divers. Cette interdépendance nous unit. La mondialisation des échanges de biens, de services d’informations, d’argent la renforce chaque jour un peu plus. L’emprise des hommes sur la biosphère et les risques de déséquilibre qui en résultent obligent à une gestion commune du bien commun dont la fragilité est chaque jour plus évidente. Mais la diversité infinie des milieux écologiques, culturels et sociaux nous enrichit. Plus le monde devient village, plus la technique se dématérialise, plus l’économie se mondialise et plus se confirme l’importance de territoires et de "milieux" capables de cohésion, d’initiative, de partenariat, d’innovation, de mobilisation, d’adaptation fine au "terrain", de responsabilisation.

Les très grandes entreprises, seuls acteurs actuellement à l’échelle de la mondialisation, ont eu à inventer des modes d’organisation respectant cette double exigence d’unité et de diversité. Elles l’ont fait de mille manières, en centralisant la stratégie et en décentralisant les responsabilités opérationnelles, en faisant circuler les expériences et les savoirs par la circulation des hommes, en créant des espaces d’autonomie en leur sein, en décomposant les grands systèmes en unités à taille humaine, en uniformisant par des procédures et des règles de contrôle plutôt qu’en homogénisant les manières de faire, etc... mais leur problème est plus simple que celui de l’action publique.

Pour celle-ci, la conjugaison de l’unité et de la diversité pose des problèmes profondément nouveaux. Aucun problème important ne trouve de solution satisfaisante à une seule échelle : dans l’avenir, le partage des compétences sera l’exception et l’articulation des compétences, la règle.

Or, science politique et traditions administratives sont muettes face à cette nouvelle situation. Traditionnellement elles proposent, pour organiser les responsabilités aux différentes échelles, une alternative : jacobinisme ou subsidiarité.

Pour le jacobin, l’unité est première. La nation, une et indivisible, est le seul corps politique légitime. La souveraineté est au peuple. L’égalité est la règle. Elle s’exprime concrètement par l’uniformité pour ainsi dire géométrique des formes de l’action publique sur tout le territoire. Mais, de ce fait, l’action publique est par essence normalisée, compartimentée et s’adresse à des "individus" pris isolément, tour à tour citoyens, administrés, bénéficiaires, usagers. Le fonctionnaire loyal est (en principe) un fonctionnaire transparent appliquant aux citoyens les règles définies par les élus des citoyens, réunis en Assemblée Nationale.

Ces règles sont autant "d’obligations de moyens" définissant comment il faut faire les choses et non quels objectifs il faut poursuivre. Comment, dans ces conditions, prendre en compte la diversité ? En décentralisant, en reportant à d’autres niveaux des blocs de compétence (le mot veut bien dire ce qu’il veut dire), constituant une sorte de démembrement de la responsabilité nationale. L’action publique est la résultante, la superposition sur le terrain des compétences exercées à différents niveaux. La coopération entre ces niveaux se fait souvent à travers des êtres hybrides, nécessaires mais complexes, des co-financements, par lesquels les deux systèmes vérifient leur convergence.

Pour les tenants de la subsidiarité, c’est au contraire la diversité qui est première, comme est première la libre association de petits groupes liés par des idéaux et intérêts communs. La puissance publique, son intrusion dans la vie privée des individus et des groupes, est un mal nécessaire mais un mal qu’il faut réduire autant que possible, aux empiétements de laquelle il faut sans cesse résister. On délègue cette souveraineté, qui appartient de droit au peuple, à une communauté de plus en plus large au fur et à mesure que s’imposent les nécessités de l’interdépendance.

Au niveau européen, l’alternative du jacobinisme et de la subsidiarité se traduit par le choc entre tenants de l’intergouvernementalité et du fédéralisme. Pour les premiers, la supranationalité est un mal, la négation du caractère sacré et indivisible de la nation. A leurs yeux, la seule solution est la négociation, le pacte, le traité entre nations souveraines. Pour les seconds, la supranationalité résulte du constat pragmatique que l’ampleur des interdépendances dans le monde d’aujourd’hui exige qu’une cohérence et une stratégie soient définies à un niveau "régional", le niveau "national" étant décidément trop étriqué.

Mais les deux systèmes ont en commun de ne concevoir les compétences qu’en termes de répartition, y voyant le seul moyen de parvenir à une clarté des responsabilités, condition théorique de la sanction citoyenne par le vote. Malheureusement, les réalités acceptent de moins en moins de se plier à ces édifices théoriques et il faut un jour ou l’autre accepter comme une donnée fondamentale la gestion de la complexité du monde moderne, fait d’une combinaison de "milieux" et de "réseaux" dont aucun n’est clos.

Il est significatif que la désillusion à l’égard du monde politique s’exprime dans des termes voisins aux différentes échelles de l’Europe à l’agglomération : trop de bureaucratie, trop d’enchevêtrement des procédures et pas assez de cohérence, pas assez de projet collectif. C’est à ce défi à la fois théorique et pratique que prétend répondre la notion de subsidiarité active.

Subsidiarité parce que l’on affirme fermement que la pertinence de l’action publique ne se trouve qu’à la base, dans une appréhension globale et partenariale d’une réalité elle-même globale et systémique qui ne se laisse pas découper en tranches. Parce que l’on affirme fermement que c’est à travers la pratique de projets partagés que peuvent se constituer des "milieux" dynamiques et se tisser la trame d’une société où les individus ne soient pas atomisés.

Mais pourquoi subsidiarité active ? Active parce que l’on reconnaît que dans un monde interdépendant l’articulation des échelles est la règle et que, au rebours des blocs de compétence, les niveaux de formulation des stratégies sont variés et dissociés des niveaux de la gestion quotidienne.

Active aussi parce que l’on ne croit pas que les logiques des niveaux supérieurs peuvent se résumer par des obligations de moyens ou des règles juridiques mais se traduisent à la base par une négociation permanente et des partenariats. Active parce que l’expression des intérêts dont sont garants les "niveaux supérieurs" ne se fait pas par la mise en oeuvre de règles uniformes s’appliquant à des individus isolés, mais par la formulation d’obligations de résultats.

Ces obligations de résultats s’adressent à la communauté des partenaires - fonctionnaires d’Etat, fonctionnaires territoriaux, acteurs privés économiques et associatifs - . Elles contraignent à une pratique partenariale et créent un apprentissage permanent de la pertinence et de la recherche de sens : l’action n’est plus jaugée en référence à ses formes extérieures mais à la manière dont elle a été définie et mise en oeuvre localement, en double référence aux finalités poursuivies (dont certaines sont formulées par des instances régionales ou nationales) et aux réalités spécifiques de chaque contexte.

On a parlé d’intérêts dont sont garants les "niveaux supérieurs". Cette supériorité ne doit être entendue qu’à son sens géographique - une plus grande échelle - et non au sens "d’intérêt supérieur de la nation". Il n’y a donc pas de "savoir supérieur" transcendant le local et dont la science ou la légitimité immanente permettrait de définir dans l’abstrait des obligations de résultat. Non. Ces obligations de résultat se construisent à la lumière de l’expérience, par une mise en commun des expériences locales.

La subsidiarité active implique une élaboration collective et continue des obligations de résultats. Elaboration Collective parce que c’est la confrontation d’acteurs engagés dans l’action concrète qui permet de dégager une philosophie générale de l’action. Elaboration Continue parce que cette philosophie est en perpétuelle révision à la lumière de l’expérience. Dans une telle dynamique, l’administration centrale de l’Etat ne tire pas sa légitimité de l’autorité hiérarchique, exercée par l’édiction de normes générales, mais de son aptitude à animer un travail en réseau où sont impliquées différentes catégories d’acteurs.

Révolutions conceptuelle et pratique sont indissociables. Elles conditionnent en France la capacité à réformer l’Etat.

Notes et références de l'article

  • Le principe de subsidiarité active. Concilier unité et diversité, Pierre Calame, FPH, fiche bip n°1 991

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